Et si on se rapprochait ?
Mon me?tier me conduit fre?quemment a? visiter des re?alisations d’architecture contemporaine en compagnie de leurs mai?tres d’œuvre. La rencontre du vendredi 29 mars au Bouscat a? la de?couverte de la re?sidence interge?ne?rationnelle OREA ne pouvait pas mieux tomber… Plonge?e dans les e?crits de Maria Montessori, entre deux sessions de formation aupre?s de l’Institut Supe?rieur Maria Montessori, les discussions m’ont rapidement laisse? croire a? une proximite? inattendue de pense?e entre la de?marche du mai?tre d’ouvrage de cette re?sidence, Aquitanis, et la pense?e de Maria Montessori au sujet du de?veloppement social et de la socie?te? par cohe?sion. Tentative de rapprochement…
Le milieu
La fac?ade arrondie de la re?sidence OREA est couverte d’un acier dore? a? reflets me?talescents changeant de couleur selon la luminosite? de la journe?e et les ve?ge?taux alentours. Malgre? son rappel de la blondeur de la pierre locale, cette ve?ture a suscite? de nombreux de?bats. Au-dela? de son apparence exte?rieure, de son architecture, OREA est avant tout un lieu ou? les habitants se rencontrent. « Ce n’est pas le ba?timent que l’on vient visiter mais sa dimension ide?elle. » (1)
Dans les Maisons des enfants, l’environnement ou «ambiance» est capital pour la mise en œuvre des principes de la pe?dagogie de Maria Montessori. Plus que d’architecture globale, il s’agit ici d’une re?flexion centre?e sur les espaces inte?rieurs : fluidite? entre les diffe?rentes aires, luminosite?, ouvertures, volumes et ame?nagement. Jamais le milieu ne peut s’incarner dans une forme particulie?re, la recherche est perpe?tuelle, les re?ponses toujours a? inventer. « Artistes, architectes, psychologues collabore?rent pour de?terminer la grandeur, la hauteur des classes, ainsi que les e?le?ments artistiques d’une e?cole qui, non seulement offrait un refuge, mais favoriserait la concentration des petits. C’e?tait plus qu’un milieu de protection, on aurait pu dire un milieu psychique. Son importance toutefois ne re?sidait pas tant dans la forme ni dans la dimension de l’e?difice -qui, a? elles seules, n’auraient pas atteint leur but- que dans les objets sans lesquels l’enfant ne peut se concentrer. » (2)
C’est davantage, ce qui se vit a? l’inte?rieur de l’e?cole qui compte, puisque « la construction sociale s’e?tablit par ces expe?riences quotidiennes. » (2)
Un fait interpellant dans une Maison des enfants est l’unicite? du mate?riel. Cette caracte?ristique a un objectif tre?s clair : « En toute classe, il n’y a qu’un exemplaire de chaque objet. Si un enfant de?sire quelque chose qui soit de?ja? entre les mains d’un autre, il ne pourra pas l’avoir ; et s’il est normalise?, il attendra jusqu’a? ce que l’autre ait fini son travail. Ainsi se de?veloppent certains qualite?s sociales tre?s importantes : l’enfant sait qu’il doit respecter ce dont un autre se sert, non parce qu’on lui a dit, mais parce que c’est une re?alite? qu’il a rencontre?e dans son expe?rience sociale. S’il y a beaucoup d’enfants pour le me?me objet, il ne peut faire autrement que d’attendre. Et comme cela arrive a? toute heure, et pendant des anne?es, le sens du respect pe?ne?tre dans la vie de chaque individu comme une expe?rience mu?rie avec le temps. C’est l’origine d’une transformation, d’une adaptation qui est la base me?me de la vie sociale. La socie?te? n’est pas fonde?e sur des pre?fe?rences, mais sur une combinaison d’activite?s qui doivent s’harmoniser. Leur expe?rience de?veloppe chez les enfants une autre vertu sociale : la patience, c’est l’abne?gation, due au refre?nement de certains instincts. Ainsi ces traits de caracte?re que nous appelons « vertus » s’affirment spontane?ment. » (2)
« Permettre et ne jamais imposer » (3) Le lien se tisse a? travers les expe?riences re?pe?te?es dans l’espace. Comment cette notion peut-elle se mate?rialiser ? À OREA, le travail sur la spatialite? vise a? cre?er les conditions de rencontre et de solidarite? entre les habitants, autour de la nature et des jardins partage?s.
Des espaces collectifs sont propose?s : un local partage? pour des ateliers ou des re?unions ; un verger et un potager a? investir avec une cabane de jardin outille?e, un barbecue commun, des nichoirs, ho?tel a? insectes et jardin aquatique. À l’e?tage : des jardins suspendus, des bacs sur les coursives. Le jardinage, une pratique s’il en est qui exige patience et entretien quotidien, est donc une activite? inte?gre?e a? l’espace, imagine?e tel un pre?texte, « un alibi » (3) ide?al a? la rencontre.
Dans cet environnement pre?pare?, Aquitanis a souhaite? mettre en place un accompagnement par l’association « Place aux jardins », dont l’intervention m’a paru pense?e comme une aide utile pour de?velopper le potentiel humain de?ja? pre?sent via des ateliers notamment….
La vie sociale
« En qualite? d’ope?rateur urbain et social, il nous faut savoir innover dans l’art de produire et de ge?rer une offre d’habitat pour le vivre ensemble, la rencontre entre ge?ne?rations. » (1)
Pour habiter dans l’un des 26 logements d’OREA, une se?lection a permis de retenir des résidents motive?s et mobilise?s. Au re?sultat, a? ce jour, seulement deux familles «ne jouent pas le jeu» ; pas encore peut-e?tre ?
À la Casa de Bambini a? San Lorenzo, la premie?re des Maisons des enfants cre?e?e en Italie, Maria Montessori observa les attitudes et analysa en scientifique qu’elle e?tait les sujets, les enfants, en tant que groupe :
« Conside?rons la constitution de cette premie?re socie?te? d’enfants. Ils avaient e?te? mis ensemble par hasard, mais par un hasard avise?. Ces enfants, qui se trouvaient re?unis dans un milieu ferme?, e?taient d’a?ges varie?s (trois a? six ans) (…). » (2)
« La notion du « vivre ensemble » ne se de?cre?te pas, elle peut juste e?tre favorise?e. » (3)
OREA est une re?sidence interge?ne?rationnelle : 50 % des locataires a de plus de 65 ans, 38 % sont des me?nages avec un ou deux enfants et 12 % ont moins de 30 ans. Il y re?gne donc un savant me?lange et e?quilibre des a?ges, une pluralite? des profils ; deux facteurs indispensables pour encourager la solidarite? entre ge?ne?rations dans un lieu de vie comme dans une e?cole : « Une socie?te? est inte?ressante en raison des diffe?rents types qui la composent. Un asile de vieillards est chose lamentable ; il est inhumain et cruel de mettre ensemble des personnes du me?me a?ge. Il en est de me?me pour les enfants, parce que nous brisons le fil de la vie sociale en lui enlevant ce qui la nourrit. C’est une erreur fondamentale qui donne lieu a? toute espe?ce d’autres erreurs. C’est un isolement artificiel qui empe?che le de?veloppement du sens social. » (2)
La notion d’interge?ne?rationnalite?, quels que soient les e?carts d’a?ges, favoriserait donc le lien social : « Il y a amour et admiration : une ve?ritable fraternite? (…). Il est difficile d’imaginer combien cette atmosphe?re d’affection et d’admiration augmente et s’approfondit : la classe devient un groupe cimente? par l’affection. Les enfants finissent par connai?tre leurs caracte?res re?ciproques ; ils s’appre?cient mutuellement. » (2)
Les résidents ont conscience et revendiquent leur appartenance au groupe social « OREA ». Dans une e?chelle encore plus fine, des sortes de petites communaute?s se sont institue?es par e?tage. Comme une e?bauche de re?ponse a? la question de l’impact re?el de l’architecture, de l’espace sur les comportements humains. En effet, les coursives sur rue de la re?sidence ne sont pas de simples couloirs de circulation e?troits. Agrandies, e?largies a? 2,50m, elles offrent de nouvelles possibilite?s d’e?changes comme poser une chaise, discuter, jouer aux cartes, arroser les ipome?es plante?es dans les bacs… un pre?texte a? la rencontre.
Cela e?voque une caracte?ristique des Maisons des enfants (dans la mesure architecturale du possible) :
« La classe des enfants de trois a? six ans n’est pas rigidement se?pare?e de celle des enfants de six a? neuf ans, de sorte que ceux de six ans peuvent aller chercher des suggestions dans la classe suivante. Nos cloisons ne sont que des demi-cloisons, et il est toujours facile d’acce?der d’une classe a? l’autre, si bien que les petits e?coliers sont libres d’aller en avant ou de faire un retour en arrie?re. (…) Ce sont donc des limitations et pas des se?parations, et les groupes communiquent entre eux. » (2)
L’extrait suivant e?voquant la construction de la notion de groupe, de petite socie?te? a? la Maison des enfants, me parait transposable au ve?cu des résidents d’OREA : « Il est inte?ressant de voir comment ils se rendent lentement compte qu’ils forment une communaute? se comportant comme telle. Ils s’aperc?oivent qu’ils appartiennent a? un groupe, et qu’il contribuent a? l’activite? de ce groupe ; alors, non seulement ils commencent a? s’y inte?resser, mais on dirait que leur esprit travaille en profondeur. Quand ils ont atteint ce niveau, les enfants n’ope?rent plus me?caniquement : ils aspirent a? re?ussir, et mettent au premier plan l’honneur du groupe. Ce premier pas vers la conscience sociale, nous l’avons appele? esprit de famille ou de tribu (…) ». (2) Et ce qualificatif conviendrait certainement a? la situation…
Dans cette aventure en cours, « Aquitanis veut tenter d’e?valuer l’intensite? des relations au sein de la re?sidence, en de?veloppant un barome?tre qui en mesurera les e?volutions dans le temps et permettra d’affiner le concept de re?sidence solidaire. » (1) L’e?coute et la re?colte de re?cits de la vie quotidienne, de petits actes d’entraide, de solidarite? entre voisins fabrique une matie?re. C’est tout a? fait la posture d’observateur que tout e?ducateur doit adopter dans l’ambiance qui va de pair avec la de?marche scientifique que pro?ne Maria Montessori : « Le ve?ritable secret de la socie?te? nous a e?te? re?ve?le? en e?tudiant leur comportement et leurs relations re?ciproques dans une atmosphe?re de liberte?. Ce sont des phe?nome?nes tre?s de?licats qui doivent e?tre examine?s avec un microscope spirituel, et la ve?ritable nature de l’homme sera re?ve?le?e. Nous conside?rons notre e?cole comme un laboratoire de recherches psychologiques, bien qu’il ne s’agisse pas ve?ritablement de recherches, mais d’observations. » (2)
Voici un exemple de re?cit re?colte?. Le mari d’une résidente s’absente une semaine ? Les voisins s’organisent afin que cette dame ne passe pas une soire?e seule, l’invitant a? tour de ro?le a? di?ner. Aucune re?gle n’a de?termine? la conduite a? suivre dans cette situation ; aucune charte n’aurait pu cre?er l’empathie ne?cessaire a? cette de?marche spontane?e.
Pour Aquitanis, deux valeurs se de?gagent des premie?res analyses des re?cits des relations entre les habitants : « politesse et sollicitude ». (1)
À mon sens, la politesse ici n’est pas une attitude de fac?ade, une simple application des codes socio-culturels mais s’ave?re plus profonde, a? l’instar des «libres enfants de Summerhill» a? propos desquels Neil e?crit : « Les manie?res artificielles sont la premie?re couche de vernis hypocrite qui disparai?t dans une atmosphe?re de liberte?. Les nouveaux e?le?ves, ge?ne?ralement, montrent de bonnes manie?res -c’est-a?-dire qu’ils se comportent faussement. Apre?s quelques temps a? Summerhill, ils acquie?rent de bonnes manie?res -de vraies manie?res, car a? Summerhill on ne leur demande rien, pas me?me de dire «merci» ou «s’il vous plait». Pourtant, nos visiteurs s’exclament toujours : « Que leurs manie?res sont plaisantes ! ». » (5)
Elle se base sur une juste estime de soi qui s’incarne au sein de la re?sidence OREA par la volonte? d’offrir en priorite? un logement de qualite? a? chacun avant de s’inte?resser aux espaces partage?s. Comme si les architectes posaient en pre?alable la ne?cessite? d’e?tre bien chez soi pour pouvoir e?tre bien avec les autres, bien en socie?te?.
OREA est donc une re?sidence sociale qui n’en a pas l’air ! Son architecture ni ne distingue ni ne disqualifie ses habitants qui deviennent des Bouscatais parmi les autres, quels que soient le niveau de leur revenus. « Il s’agit avant tout de proposer des logements de qualite? : au moins traversants, des pie?ces de vie vers le cœur d’i?lot, un prolongement du logement par de larges balcons, des espaces de rangements en balcons et coursives, des typologies varie?es… et de de?licates attentions. » (3)
Cette apparente dualite? entre individuel et collectif, qui se retrouve dans l’architecture me?me de la re?sidence, a e?te? perc?ue par Maria Montessori dans ses observations des enfants : « Ils arrive?rent vraiment a? former une socie?te? lie?e par des attaches myste?rieuses, agissant comme un seul corps. Ces liens e?taient forme?s par un sentiment commun et, pourtant, individuel ; tout en e?tant des individus inde?pendants, ils e?taient mus par la me?me impulsion. » (2)
Finalement…
« Ce qui reste de?sormais a? faire vivre, c’est l’impre?visible des rencontres et des coope?rations entre les ge?ne?rations, un e?cosyste?me singulier ou? en ce lieu l’urbanite? est appele?e a? grandir, se de?ployer a? la main des habitants. » (1)
Est-ce la conside?ration et l’exigence de qualite? apporte?es au projet qui ge?ne?rent ces actes quotidiens de cohe?sion sociale ?
Est-ce l’attitude et l’humilite? des architectes, le volontarisme d’Aquitanis et/ou le hasard de la composition de cette mini-socie?te? qui fac?onnent les manie?res de vivre en ce lieu singulier ? Qu’adviendrait-il si le commerce vacant a? cette heure au pied de la re?sidence accueillait une Maison des enfants ? Quelle continuite? de vie pour l’enfant se produirait- il ? La socie?te? en serait-elle profonde?ment modifie?e si chaque individu pouvait vivre cette expe?rience en tant qu’enfant puis en tant qu’adulte ? Une cohe?sion de socie?te? verrait- elle le jour ?
Les caracte?ristiques architecturales pourront-elles e?tre de?finissables et transposables telles quelles ?
Quatre autres ope?rations sur l’agglome?ration bordelaise en cours de re?alisation seront autant de cas d’e?tudes et de nouvelles manie?res d’expe?rimenter des re?ponses a? cette question.
« Cette association, forme?e par un besoin spontane?, dirige?e par une puissance inte?rieure, anime?e par un esprit social, nous l’avons appele?e socie?te? par cohe?sion. » (2)
De Carole Larribau.
Notes :
(1) Propos de Bernard Blanc, directeur ge?ne?ral d’Aquitanis, re?colte?s lors de la visite ou extraits de l’e?dito du guide des habitants de la re?sidence solidaire OREA, 2015.
(2) L’esprit absorbant de l’enfant, chapitres XXI et XXII, Maria Montessori, 1959.
(3) Notes d’intention d’Éo «toutes architectures», site internet de l’agence, 2010.
(4) Guide des habitants de la re?sidence solidaire OREA, Aquitanis, 2014.
(5) Libres enfants de Summerhil, A. S. Neil, 1960.
- OPÉRATION : construction de 26 logements BBC & HE, commerces et parking enterré
- LOCALISATION : Le Bouscat, Gironde
- MAÎTRE DE L’OUVRAGE : Aquitanis
- MISSION CONFIÉE : de base
- BUREAU D’ÉTUDES : Math Ingénierie
- BUDGET : 3 160 000€ H.T.
- SURFACE (SHON) : 3967 m2
- LIVRAISON : 2014
0 Comments